Le compositeur japonais de THE END, au piano

La musique surveillée

Au cœur de nos sociétés, nous vivons sous l’œil des caméras qui nous surveillent tous azimuts. Chacun de nos gestes est observé et scruté. Truffé de caméras, ce concert solo inédit invite l’auditeur dans l’espace intime de l’artiste. Perfect Privacy transforme l’espace du théâtre en espace de surveillance.

Les mouvements des doigts et des mains sur le clavier du piano ou de l’ordinateur sont filmés, les objectifs guettent l’instant du contact sur les touches, épient le moindre mouvement du corps sur scène et ne perdent rien des expressions du visage. L’interprétation ainsi fragmentée et projetée sur l’écran révèle l’émotion palpable de l’interprète.

Sur scène, placés d’une façon anodine, le piano, l’ordinateur, le synthétiseur et les partitions donnent l’impression que l’on se trouve dans une sorte de studio privé. Dans cet espace, les pièces pour piano solo alternent avec d’autres pour piano et ordinateur. Parfois, des improvisations s’insèrent dans un ordre aléatoire... Entre interprétation et improvisation, à mi-chemin d’un processus de composition, ce concert rapproche le public de la musique comme dans un salon musical créant ainsi un espace plus intime.

Mais le lieu de présentation reste une salle de théâtre, rien de plus publique. En effaçant toute notion d’intimité, dernier rempart entre autrui et soi-même, et en la plaçant sur scène, ce concert tente de souligner la frontière flottante entre composition et interprétation, pop et musique expérimental, acoustique et technologique.

Le programme mêlera des créations pour ordinateur et piano spécialement conçues pour ce concert, une pièce créée au Palais de Tokyo en avril 2014 sur des photographies de Hiroshi Sugimoto, des compositions de films et des pièces pour piano solo dont For Maria, ainsi que des transcriptions pour piano, synthétiseur et ordinateur extraites de THE END.

L’opéra Vocaloid THE END, que j’ai présenté la saison dernière au Théâtre du Châtelet, avait pour thème central la frontière entre la vie et la mort et notre incapacité à fixer nous-même cette frontière. De la même manière, nous ne sommes pas en mesure de déterminer la limite qui, aujourd’hui, sépare le public du privé : attendant un visiteur dans notre chambre, nous transformons l’espace en le rangeant. Cet espace de l’intime se voit alors modifié par le public et les zones de l’un et de l’autre se mêlent sans qu’on sache bien dessiner leurs limites respectives.

La musique produite au sein de cette ambigüité se démarque du style des concerts conventionnels. Elle se déploiera tout au long de recherches, d’expérimentations et de vérifications, s’approchant au plus près de la liberté. Partager cette liberté en concert solo avec le public du Théâtre du Châtelet, cette salle qui a pour moi une signification toute particulière, valeur de symbole.

Keiichiro Shibuya, à Paris, septembre 2014