Pionnier de la scène dub française à la fin des années 90, le quintet angevin n’a cessé de s’aventurer sur d’autres terrains de jeux, cheminant depuis quelques années sur les scènes krautrock et post-punk. Sans renier ses racines riddim, Zenzile lorgne plus volontiers les squats de Berlin que les rives jamaïcaines, à l’image de son 10ème album, "Elements" (Yotanka/PIAS), recueil de pétards et volutes rock psychédéliques pour un trip-hop. Zen et adeptes des digressions en tous genres, les Zenzile. Vincent Erdeven (clavier) et Alexandre Raux (guitare) décryptent leur fresque naturiste.
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Après avoir mis en musique les films muets "Le Cabinet du docteur Caligari" (2011) et "Berlin : la symphonie d’une grande ville" (2014), vous semblez vous spécialiser dans les "ciné-concerts". Qu’est-ce vous aimez dans ce mariage des sons et des images ?
Vincent : Le processus était inverse : contrairement à ces deux projets où il s’agissait d’illustrer musicalement des films, cette fois-ci nous avons de-mandé à Julien Brevet, qui s’occupe traditionnellement de nos créations vidéo, de mettre notre musique en images. Ce n’est pas un projet cinématographique, mais l’utilisation d’images abstraites, inspirées des quatre éléments, la thématique de l’album, mais aussi des jeux d’éclairages, qui servent de trame, pour au final proposer un seul objet global. D’où ces titres assez ambient, atmosphériques, qui devaient également pouvoir survivre au live.
Alexandre : On nous a souvent dit que nous composions une musique cinématographique, cet album va dans ce sens. D’ailleurs, nous aimerions beaucoup composer des musiques de film.
Vincent : Vu notre musique, on se verrait bien écrire la B.O. d’un film d’anticipation, de science-fiction, mais pourquoi pas un western spaghetti ! (rire) Pour l’instant, c’est un vœu pieux, car le monde des musiques de film est un autre univers, une sorte de chasse gardée par quelques compositeurs, qui travaillent très bien. Certains de nos titres ont déjà été utilisés dans des films, comme le morceau "Sleepless Night" dans le dernier film de Virginie Despentes ("Bye Bye Blondie", sorti en 2012, ndlr), et peut-être un autre dans le prochain long-métrage de Christopher Doyle, le directeur de la photo de Wong Kar-wai.
Refuser la narration, le message, au profit de l’illustration, de la suggestion : est-ce là votre marque de fabrique ?
Alexandre : Oui, nous sommes plus dans des atmosphères, des tableaux, une forme de poésie en filigrane, en creux, que dans le figuratif.
Vincent : Dans notre musique comme nos concerts en images, on essaie de proposer une nouvelle matière, analogique, des tableaux pluri-
artistiques comme le faisait le Velvet par exemple, et non de simples clips musicaux.
On pourrait vous classer dans le courant des Impressionnistes, avec votre façon de composer par touches et par couches d’instruments.
Alexandre : Tout à fait. Nous débutons souvent nos titres par une rythmique basse-batterie, voire du piano, sur laquelle nous rajoutons peu à peu les autres instruments jusqu’à ce qu’on parvienne à la transe. Comme un crescendo jusqu’à l’explosion finale, rythmé par des montées d’adrénaline et des plages de repos.
Tout au long de l’album, on oscille en effet entre les ambiances orageuses et les accalmies, à l’image de la vie finalement.
Vincent : Nous concevons chaque album comme une histoire, un conte à part entière, même si nous n’avons pas de cahier des charges ni de dogmes avant de composer. Il s’agit plus de rebondir que d’imposer, de réagir avec une forme d’intelligence collective.
A travers le thème des quatre éléments (terre, eau, air et feu), vous proposez une lecture de la nature et de ce qu’en fait l’homme. S’agit-il d’un manifeste écologique ?
Vincent : Non, nous n’utilisons pas le groupe pour militer. En tant que citoyens, nous avons forcément des préoccupations écologiques, certains plus que d’autres, mais Zenzile n’est pas un mégaphone et n’a surtout pas vocation à exprimer des idées autres que musicales.
Alexandre : Un manifeste, c’est un bien grand mot, mais c’est vrai que dans cet album, il y a une forme de discours sur la place de l’homme dans l’univers, sa petitesse dans le cosmos et, en effet, les conséquences de ses actes sur l’environnement.
Musicalement, vous continuez vos explorations krautrock et post-punk. Qu’est-ce qui vous plaît tant dans cette scène berlinoise des années 70 et 80 ?
Vincent : Nous avons commencé à fouiller cette esthétique dans la foulée de l’album "Electric Soul" (2012), qui était plus reggae-dub. Il y avait une envie commune des membres du groupe d’aller dans cet univers qui nous attirait tous. Nous avions tous envie de pousser l’écriture dans ce sens et d’en faire un disque puisque Berlin était avant tout un projet d’illustration musicale. C’est vrai qu’il s’agit-là d’un virage musical. Il faut avouer que Zenzile n’est jamais allé là où on l’attendait...
Alexandre : Nous aimons tous le côté transe du krautrock et les synthétiseurs analogiques.
Cette esthétique colle bien au groupe, dont l’une des forces est de rendre les machines vivantes, de proposer des sons à la fois métalliques et organiques.
Alexandre : Aujourd’hui, tu as bon nombre de plugins et de bécanes qui te permettent de travailler les sons, de sortir de l’aspect froid des synthétiseurs, de leur donner de la chair… Il faut dire que l’album a été enregistré dans les conditions du live et mixé par Peter Deimel à Black Box, un studio analogique gavé d’instruments vintage, de vieux amplis et de réverbes à plaques... Nous sommes tombés amoureux du lieu lors de l’enregistrement de notre album "Living in Monochrome", en 2007. The Last Shadow Puppets, dEUS, PJ Harvey y ont enregistré, c’est un temple !
Vincent : Cela nous a permis de fouiller les sons, d’explorer et de nous amuser. Ainsi, sur le titre "Dry", nous nous sommes concentrés sur le timbre, à travers deux petits bridges à l’ambiance baroque, sur les-quels on a rajouté une ligne de Crumar, un synthétiseur italien énormément utilisé par Bowie durant sa période berlinoise.
Quels que soient vos projets, on vous présente toujours comme un groupe de dub, comme si vous n’aviez pas évolué depuis vos débuts en 1995. Est-ce que ça vous gonfle ?
Alexandre : Oui, car cela prouve que les personnes qui nous collent cette étiquette à chaque album ne l’ont pas écouté. Certains pensent même qu’on joue du reggae festif !
Vincent : Nous n’avons jamais été des ayatollahs du dub. A nos débuts, même si nous étions dans cette esthétique et surtout cette façon de produire de la musique, nous proposions avant tout une musique hybride, une fusion, plus qu’un dub stricto sensu. Si tu écoutes bien les albums de ce qu’on considère comme la période dub de Zenzile, il y a déjà des sons post-rock et déjà des envies de déviances…
Cela ne vient-il pas aussi d’une sorte de malentendu, le dub étant à la base une façon de produire, une déconstruction via des remixes, plus qu’un style musical lié au reggae.
Vincent : Ce sont les deux... Mais la particularité des groupes de dub français est de l’avoir porté sur la scène, de jouer les sorciers en direct, autour du couple rythmique basse-batterie. Nous avons été les premiers à le proposer. Pour en revenir à notre image, deux points expliquent en partie ce cliché : primo, n’étant pas Parisiens, nous avons une faible visibilité de groupe de province, ce qui explique que beaucoup de gens pensaient que, même lors de notre période dub, nous jouions du reggae festif. Pourquoi ? Peut-être que leur manque de curiosité ne les a pas poussés à venir nous écouter… Ceux qui se sont déplacés à nos concerts ont vite compris que nous jouions une musique crossover. Mais cela ne nous a jamais empêchés de tracer notre route, et heureusement, car les gens s’étonnent encore qu’on ne leur resserve pas la même soupe dub... C’est vrai qu’il aurait été plus confortable de créer une franchise "Zenzile, le groupe de dub français", de faire le tour du monde avec les mêmes titres, un coup de dub ethno par-ci, un coup de dub rock par-là, et d’amasser les dollars. Le cauchemar !
En concert au Café de la Danse le 12 mai