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Interview : Romain Humeau

Rock — Fine lame

Dans son nouvel album solo, "Mousquetaire #1" (PIAS), le leader d'Eiffel prend un peu de hauteur pour croquer les jungles urbaines. Fièvres pop-rock et poésie humaniste sous la plume d'un artiste capable d'écrire "Québec, c'est pas la reine des poutines" à propos de l'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa dans une charge frontale contre la Russie de Vladimir Poutine. Un disque coup de poing.
Texte : Youri

Peux-tu nous faire le pitch de ce nouvel album solo, dans lequel tu joues quasiment tous les instruments, de la guitare au oud, en passant par la batterie, le banjo et les claviers ?
Je me suis employé à faire tout ce que je m'étais interdit de faire jusqu'ici. J'avais envie de faire un album moins rock que les précédents, moins marqué guitares, même si, à mes yeux, les instruments ne sont que des outils. Je voulais exprimer quelque chose d'enfantin, d'imagé, alors que ces nouveaux textes sont peut-être les plus durs que j'aie écrits.

Tu précises que tu as renoué avec ta culture musicale d’origine : le baroque. Tu joues du clavecin, tu évoques le contrepoint, étrange de la part d’un rockeur...
Cet album n'est pas plus baroque que les précédents, j'ai toujours aimé tisser des canevas harmoniques, jouer sur les superpositions de lignes mélodiques. Il faut dire qu'en France, on est mal loti à ce niveau : à la radio, tu entends toujours la même soupe, les mêmes enchaînements d'accords - Mi mineur/Ré majeur ou Do majeur/Mi mineur. Sans faire le malin, mes harmonies sont un peu plus fouillées ; j'aime surprendre, glisser un accord qu'on n'attend pas, une dissonance, pour faire réagir.

Tout au long de l’album, tu croques une période désenchantée et un monde qui broie l’homme. Pas le moral ?
Je croque, c'est le bon verbe, car je ne prends pas position. Disons que j'infuse l'actualité et la manière dont on en parle dans les médias. L'époque est à la peur, au lynchage, on montre du doigt, on stigmatise, on insulte quand on n'est pas d'accord. On m'a souvent qualifié de rockeur engagé, d'écorché vif... Franchement, j'ai 45 balais, une fille de 20 ans, des crédits sur ma maison et aucune vision à long terme sur mon avenir de musicien ! Je me pose des questions comme tout le monde, mais je ne balance pas des coups de pied dans les poubelles !

Tu es engagé, pas militant...
Il me semble que c'est la vocation des artistes que d'essayer d'arrêter le temps sur un sujet précis, à un moment donné. Jouer de la musique, n'est-ce pas jouer avec sa propre mort ? Il y a une for­me d'éternité à composer : je peux très bien raconter une vie entière en trois minutes, comme donner l'impression d'avoir vécu l'orgasme ultime en dix minutes.

*Tu es plus révolté dans le titre "Velours de gosse", une adaptation de ce personnage classique de la culture anglo-saxonne, Samuel Hall, le gars sans horizon qui finit par retourner sa haine contre lui-même ou la société. *
Il s'agit d'une vieille chanson anglaise du début du XIXème siècle. Ce Sam Hall, je l'ai peint à ma manière, tout est dit dans la phrase "Kamikaze, paradis clés en main". Je me mets dans le peau du gamin qui se radicalise, sans repères, à la dérive et qui se tourne vers l'extrémisme. Je conclus le couplet par "Pour peu qu'un jour sans / On ne soit plus qu'à retardement". Une bombe humaine. A mes yeux, c'est une chanson sur l'éducation, j'essaie de comprendre, certainement pas d'excuser, le parcours de ce gosse quand j'écris, à la fin : "J'me sens comme toi / Du gang des mines de rien  /  Arpentant d'imaginaires chemins".

Tu joues le 23 novembre à l’Elysée Montmartre. Un mot sur cette salle mythique qui vient tout juste de rouvrir ses portes ?
C'est une salle importante pour moi car Eiffel y a don-né son premier concert sous son nom, en 1ère partie des Cramps en avril 1998. Il y a aussi des raisons moins nostalgiques : pour cette tournée, on m'a proposé deux grandes salles parisiennes : L'Elysée et le Bataclan. Or, pour moi, il était impossible d'y rejouer après les attentats. Je sais bien qu'il faut continuer à vivre, et tant mieux si d'autres musiciens ont envie de s'y produire, mais jouer si tôt dans ce lieu, où j'ai perdu des amis en novembre dernier, c'était trop tôt pour moi...

—  Youri

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Romain Humeau + Jil is Lucky

03/12/2016  –  Canal 93 Bobigny

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